Cuisine
du Glacier Blanc, 20 heures ce 6 Aout... Autour de cette bonne
vieille table sur laquelle je me suis déjà tant de fois écroulé
alors que le travail que j'avais abattu au bout d'une heure ou deux
était encore proche de zéro... Combien de plaintes quand il est
temps de sortir de table pour aller servir "Zwei Bier" sans
un seul "bitte", connard... quelle fatigue ressentie tout
au long de la journée, pour finir après le service, le temps de la
tisane et du génépi où l'énergie revient tout à coup! L'asile du
Glacier Blanc c'est l'état suprême de la somatisation.
C'est donc dans un de ces moments privilégiés, avec les guides qu'on aime bien, autour des boissons fumantes, que l'on retrouve toute la patate et que l'on va aller se coucher toujours un peu trop tard... Mais le résultat c'est demain! Pour l'instant on se marre ou on écoute, ça dépend autour de qui, ou avec qui nous sommes... En l'occurence ce soir j'ai cru que j'allais seulement écouter. Une légende comme Henri Agresti dans l'antre de la bâtisse est une chance! C'est vrai qu'il a la tchatche, et c'est vrai que quand il se retourne sur ces expés, sur sa vie de grimpeur, des choses à dire, il en a! Mais caricaturer le personnage à un ex-prof de l'ENSA bavard serait lui faire offense. Les yeux qui pétillent et les histoires de fou le caractérisent assurément, les voyages à l'autre bout du monde, des expés qui devaient durer 1 mois et qui, au bout de 5, vivent encore leur cours hasardeux il peut en compter des dizaines.
Confortablement
avachi sur la table, je laisse la chaleur des lieux et la qualité du
récit me happer, les langueurs océanes de Brel ne sont pas loin. Au
début j'avais seulement l'impression d'écouter une bonne émission
de radio mais le goupil a plus d'un tour dans son sac et ce qui lui
plait avant tout c'est de partager, et pas seulement à sens unique.
L'écouter ce n'est pas entendre une liste d'exploits, la vie d'un
héros ou toutes ces conneries dont les histoires de montagne sont
faites. Ici c'est de l'humain, du vrai, un mec humble qui fait part
de sa vie et qui écoute les autres, quels qui soient. Montagnard ou
pas. Alors la soirée prend un autre tournant, ça parle, ça refait
le monde. Pour une fois, voilà qu'on parle de demi tour, de doute,
de peur. Le passage de la goulotte Berhault racontée par Agresti est
un bonheur, on s'en délecte tous, Sylvain Rivoire, mon pote Thibault
ou notre Mathieu Détrie national, eux aussi, sont comme des gosses.
Mais surtout le message, le fil rouge transmis aux jeunes, la
philosophie banzaï en horreur, les magazines, et le star system ont
pour lui fleuri les cimetières... Ca fait réfléchir tout ça... Un
beau moment! Chapeau l'artiste!!!
C'est
donc parti sur de bonnes ondes que je me rends dans l'écrasante
capitale savoyarde, à trois heures de bagnoles de la maison c'est
déjà le voyage! C'est pas l'autre bout du monde, mais on découvre
de nouveaux visages, de nouvelles histoires. Chez Ratel et Skix,
c'est un peu porte ouverte aux quatre vents. Alors en bon voyageur
j'abuse de leur hospitalité! Deux jours très sympas en compagnie
des deux bidasses et de leurs potes passés par là. Moi qui pensait
que l'égo des chamoniards était aussi gonflé que leurs Jorasses
sont Grandes... j'ai été agréablement surpris! Des gens ouverts
avec qui il fait bon discuter de tout, une base ce cercle alpin! Pour
continuer dans le trip hippie, découverte de la slack line à la
Pierre d'Orthaz avec Aurélie, une bonne suée, un bon film avec eux
le soir et me voici parti pour ce projet qui me motive à bloc,
défourailler la Gabarrou Silvy... Ou tout du moins arriver en haut.
Comme
dans tous les voyages, il y a des bugs, le premier majeur sera le
désistement de mon compagnon de cordée la veille de la course. Les
boules! Sur le carreau pour une histoire... d'amour! Ha!! L'amour...
Inutile d'aller en montagne dans ces conditions de toute façon.
Retour au sol avant même d'avoir pris la benne. Je retourne mon
répertoire, il 23h30, deux potes répondent illico, c'est parti! Je
ferai donc cordée avec Djamel Stagnetto et Yann Borgnet. Taupe!
La
première benne à 7h30 nous file sous le nez, but avec Yann pendant
que Djamel drague la caissière, on a beau l'appeler, il est trop
loin et l'heure tourne... Tanpis on décale d'une demi heure. On
largue finalement les amarres au sommet des Grands Montets peu de
temps après. Un accès plus compliqué que l'hiver nous donne du fil
à retordre. Nous mettons finalement pied sur le glacier dans un
fracas peu agréable. Un pont se détend sous mon passage... Pas le
temps de comprendre ce qui s'est passé dans ma tronche à ce moment
là mais un mélange de stress total et d'adrénaline en quantité
gorette me laisse échapper un hurlement d'horreur. Ouf, ça
tient... Phénoménal!
Rejoindre
le pied de la voie est assez aisé et il ne me reste plus qu'à faire
ce dont j'ai rêvé les nuits passées, grimper! Jérémie avait déjà
fait un passage dans cette voie, sans malheureusement en voir le
haut. Il avait grimpé toute la partie rocheuse et nous laisse donc
prendre la tête de la cordée. C'est Mémé qui m'a donné l'info
pour cette voie. Pica l'a appelé et lui a assuré que les conditions
étaient parfaites. Connaissant l'expérience du gazier dans le
massif, je lui fais confiance autant qu'à ma grand mère quand elle
me dit qu'on va se régaler de ses gnocchis... Humm trop bon! Le
rocher est majeur, les longueurs d'anthologie se succèdent et se
grimpent bien en libre, les protections sont faciles à mettre,
saines, comme sur des spits. C'est si bon qu'égoïstement je dévore
tout. Derrière les sacs sont lourds et le 6c avec 10 kilos dans le
dos ça masse!
Yann négocie les deux dernières longueurs... Okay, moi aussi je goute à la fissure lestée, en mode « training », je suis sûr que même Sean Mc Coll il en aurait chié...!
Yann négocie les deux dernières longueurs... Okay, moi aussi je goute à la fissure lestée, en mode « training », je suis sûr que même Sean Mc Coll il en aurait chié...!
L'heure
du bivouac sonne finalement à 17h, au sommet de la partie rocheuse.
Le soleil du soir nous est dérobé par une compagnie peu agréable,
un gros nuage joufflu squatte le terrain et ne se dissipe qu'avec les
belles lumières du soir, lorsque tout thermique est en fin éradiqué.
On s'endort tôt et c'est tant mieux. A la manière du lama moyen, le
mixte de demain nous toise d'un air hautain, et il faudra toute nos
forces pour se hisser au sommet de cette belle face.
Au
matin le petit déj s'apprécie dans le duvet. Jérémie a eu la
chiasse toute la nuit, lui apprécie un peu moins le moment... Il est
peu en forme mais souhaite tout de même partir devant.
La tension monte d'un cran comme la pente se redresse et que le chrono défile. On avance pas, déshydraté, il cède le témoin à Yann au début de la première goulotte. Le jeune savoyard est gonflé à bloc et deux longueurs plus tard nous sommes à pied d'oeuvre pour le crux de la voie.
L'ambiance est austère et le mixte qui nous attend tranche
avec les belles longueurs de rocher grimpées la veille. Yann tire
deux belles longueurs avec le passage d'une bulle de glace
déversante, super! Bravo à lui pour la manière. Maintenant les
pentes se couchent un peu et on arrive au sommet de l'Aiguille sans
Nom une heure plus tard. La suite est magnifique, entre parcours
d'arête mixte et une fin purement neigeuse, l'altitude se fait
sentir. Une petite accélération sur le 50 derniers mètres me met
une bonne secouée! C'est bon ça!!
Il est à nouveau 17 heures, mais cette fois on ne va pas se faxer dans les duvets de si tôt! Le temps d'attendre le regel du Whymper, on tchatche trankilou, petite soupe et un pti casse dalle tranks...
La tension monte d'un cran comme la pente se redresse et que le chrono défile. On avance pas, déshydraté, il cède le témoin à Yann au début de la première goulotte. Le jeune savoyard est gonflé à bloc et deux longueurs plus tard nous sommes à pied d'oeuvre pour le crux de la voie.
Rhaaa à la sortie du crux, dans le rouge! |
Le crux de la voie, déversant à souhait! |
bientôt en haut |
Il est à nouveau 17 heures, mais cette fois on ne va pas se faxer dans les duvets de si tôt! Le temps d'attendre le regel du Whymper, on tchatche trankilou, petite soupe et un pti casse dalle tranks...
Finalement,
c'est après une longue série de rappels désagréablement coincés
que nous atterrissons sur le glacier. Un nouveau casse dalle partagé
par de sympathiques sudistes rencontrés au sommet et je sombre dans
le sommeil, il est 3h30!!
On a tous une grand-mère qui fait les gnocchis ou bien ?! tjs bluffée par ton art du récit !
RépondreSupprimerDelf
Bravo pour ce récit. J'ai découvert ton blog il y a peu et moi qui ne suis qu'un modeste randonneur rêvant en observant de loin la Verte, les Jorasses, la Dent du Géant et bien d'autres depuis les sommets du Chablais, je me régale, en attendant d'aller accomplir un jour (ou plus) quelques ascensions certainement plus modestes pour gouter à l'alpinisme.
RépondreSupprimerMerci en tout cas et bravo à toi et tes compagnons de cordée.
Ben
bravo
RépondreSupprimerouai c est quand meme joli avec les photos aussi!!hehe le paon
RépondreSupprimerTrop classe votre façon d'être en montagne
RépondreSupprimerça fait bien plaisir
à + Stéphane
Je tombe par hasard sur votre site. Merci pour ces photos magnifiques, qui me font d'autant plus plus plaisir que nous avons ouvert la voie avec Patrick, nous n'en avons pratiquement pas pris une. C'était une autre époque. J'espère que la ballade vous a plu. Que de souvenirs qui remontent à la surface grâce à vous ! pourtant je ne vis pas dans le passé et j'ai bien tourné la page.
RépondreSupprimerAmicalement,
P. Silvy