Fond d'écran

Verdon
"Tom et je ris"
Copyright Pehuen Grotti

GMHM

7 juin 2013

Troisième cerveau

En cette automne précoce (et oui y'a plus d'saisons ma ptite dame...), il semble bon de laisser pour un temps les projets alpins en veille et de se frotter à la douceur du calcaire verdonesque et de son climat méditerranéen. Deux fois deux jours pour lézarder sur les arquées, les aplats et les fissures pas toujours si douces d'un mythe de l'escalade libre. Quatre escalades triées sur le volets et deux compères que les picots saignants n'effraient pas pour re-visiter le verdon old school. Au menu du jour de la varappe, de la bonne bouffe mais aussi, et c'est assez rare pour être souligné, de la réflexion pour ce 60 ème post. Bon app!

Dans Caca Boudin - Escalès
Copyright Antoine Pêcher





C'est en étudiant studieux que je rejoins dans Les Gorges un inconditionnel des lieux, ce cher Robin Revest. Avec des polys aussi joufflus que les paluardes que l'on dévore sans culpabilité aucune, j'essaye de meubler les temps morts inhérents à un week end de grimpe. Quelques plongées dans le cycle de l'azote et du phosphore, un survol diagonal des lois des écoulements souterrains, tout ça pour retomber inlassablement sur le tout nouveau topo du Verdon, un brin plus alléchant... En espérant que mes chers professeurs ne seront pas trop exigeant pour les partiels qui débutent dans quelques heures, toujours synchro avec Rolland Garos bien sûr!

Sans véritable objectif je me laisse ainsi trainer par ce mauvais Revest pour une révision des rappels avec dynema + joker au sommet de l'Escalès (ça pourrait toujours tomber au partiel..). Un grand moment pour l'alpinisme français plus tard, nous voilà pendus comme des gros sales dans les ventres et surtout les dallouses de Frimes et Châtiments. Une ligne a attisé le flaire de mon accolyte, "un truc italien qui a l'air pas mal...", point trop m'en faut, j'attaque la première longueur de "Jocchi di Prestigio" puis laisse le concasseur de bloc, celui qui fait même peur à Benjamin Guigonnet pendant les contests à la salle, défricher les méthodes de la longueur crux suivante (7b/+). Un flash parfait m'octroie une croix peu méritée et nous sortons par deux  longueurs variées pour rejoindre la voiture après les quelques minutes de marche règlementaires. La biboune que se procure le jeune Revest de retour au village clot cette saine journée dans "les Garrrrigues de la Proveiince" (avez l'accent s'il vous plait) et nous amène à une prise de conscience philosophique des rapports humains. 

I jocchi di prestiggio


L3 sans les mains, trop fort Everest!

Le lendemain, réveil aux aurores pour affronter à nouveau une belle paluarde. Robin doit certainement avoir des actions pour la boulangerie de la Palud. Accueilli comme un roi dans cette boutique de tous les fantasmes, connu et respecté pour sa consommation frénétique de gluten glucosé, le patron lui fera un prix qui ne se refuse pas... Une paluarde achetée, une offerte! De quoi attaquer les longueurs des "Naufragés" avec le regain d'énergie nécessaire aux deux premières longueurs qui sans être expo offrent un équipement minimaliste.

Deuxième longueur des Naufragés

Encore une petite longueur pour accéder à la proue collector du coin et nous voici accueilli par une ambiance magnifique, soulignée par ce vide qui se creuse et ce mur qui se redresse. Un à vue me sortira vainqueur de la première longueur dure (7b+), tout ça pour échouer lamentablement dans la seconde (7c), à pas grand chose, mais échec quand même!

La fameuse dernière longueur des Naufragés plein gaz

Laissant agréablement divaguer mon esprit sur le chemin du retour à l'école, je laisse l'acide se dissoudre tranquillement dans mes petits avant bras meurtris et m'interroge sur le dédale que constitue parfois les relations humaines, en prolongement de mes discussions avec cette curle qui a partagé ce week end délicieux. 

Que règne l'harmonie ou le conflit, une visite guidée dans les vérités inconscientes de nos vies est un régal. A cet égard, l'excellent livre de Jean Michel Oughourlian - "Notre troisième cerveau", peut permettre le déclic dans la compréhension de certaines impasses relationnelles. Ainsi donc je médite longuement sur ce que j'ai réussi à comprendre de cet ouvrage. Et puisque les grimpeurs et surtout les alpinistes que nous sommes ont parfois besoin d'être coaché sur les fondamentaux des méandres relationnels, voici une petite digression psychologique qui pourrait (pourquoi pas!) avoir sa place entre deux pâtisseries palluardes et les odeur de la Proveiince (toujours avez l'accent!).

Ainsi donc, comme vous le savez certainement, il existe le premier cerveau dit rationnel et le second dit émotionnel. Les chercheurs viennent de mettre en lumière un troisième cerveau qui interfère plus que l'on ne peut l'imaginer avec le fonctionnement du premier et du deuxième. Basé sur le fonctionnement des neurones miroirs qui nous permettre d'apprendre par imitation et mimétisme, et qui de fait nous permettent de survivre en imitant les gestes de nos parents, en apprenant "notre" langue maternelle etc... 

Ces petits neurones inoffensifs et même plutôt sympathiques par essence, amènent cependant à certaines psychoses et névroses. En effet, un individu fonctionnerait donc avant tout par rapport aux autres et non de lui même. "Notre" langue maternelle n'est que celle que nous avons bêtement intégré de nos parents, notre personnalités s'est construite par nos rencontre et nous sommes donc en somme un patchwork de toutes les rencontres que nous avons faites dans notre vie.

Ce qui est intéressant, c'est que notre désir lui aussi fonctionne par mimétisme. Ce qui semble être à nous, au plus profond de nous, n'est qu'un mime. Exemple. Je désire un Iphone, ou bien je désire ouvrir une voie majeure sur un sommet inconnu. La publicité dans le premier cas, l'imitation de ce qui se fait autour de nous pour le second, laisse à penser que nous ne possédons pas l'antériorité du désir. Nous pensons être propriétaire de nos désirs mais ils ne sont que des désirs d'emprunt. Si je suis amoureux d'une personne et qu'un autre homme l'est aussi, je penserai que c'est injuste, qu'il essaye de me l'a voler, que c'est moi "qui l'ai vu le premier". Je pense donc deux choses : que mon désir est antérieur au sien et que je suis propriétaire de mon désir. J'ai donc doublement faux. Et il est difficile d'en prendre réellement conscience sans sombrer dans la mélancolie. En effet, comme le résume Oughourlian en une phrase : "ce n'est pas moi qui désire, c'est mon désir qui crée ce que j'appelle "moi". "

De ce constat de base, trois types de relations existent entre les macaques évoluées que nous sommes. On peut dans un premier cas prendre l'autre comme modèle. C'est le cas des mentors, des profs etc... C'est aussi la meilleure façon d'apprendre nous dit l'auteur. Ils sont prêts à transmettre leur savoir et à le rendre accessible. Cette relation permet une forte implication émotionnelle et aboutit à un apprentissage rapide et en sécurité. Autre exemple, emprunté cette fois ci à la sphère piscicole (sic), il est plus facile d'apprendre avec un pécheur sachant pêcher plutôt qu'en l'épiant derrière un arbre de l'autre côté de la rivière. Dans la relation de type Modèle, il y a la reconnaissance de la différence, l'apprentissage et l'identification. Il y a une forme d'identification au modèle puisque l'on veut faire la même chose que lui - sinon mieux. Le deuxième cerveau fournit des sentiments positifs d'affection, de joie, d'euphorie de partager ensemble cette grande course, ce grand projet, cette grande partie de pêche!

Cependant, si par malheur (bonheur??!), l'apprenti pêcheur dépasse son maître pêcheur (sachant Antoine Pecher), la relation peut tomber dans le modèle du Rival. Et là, c'est le drame. La première réaction est la peur. Le pêcheur pro du départ revendique la propriété de "son" désir par rapport à l'apprenti pêcheur. Le résultat se manifeste par des émotions telles que la vengeance, l'envie, la jalousie. Tout s'effondre et les deux pêcheurs cherchent à se détruire l'un l'autre. Il nait alors le désir de revendiquer frénétiquement son originalité.

Enfin un troisième type de relation existe, c'est l'Obstacle. Exemple je commence à grimper avec Chris Sharma (je connaissais pas de pêcheur pro...), "jamais je n'arriverai à son niveau!". Tout s'effondre dès le départ parce qu'en plus d'être débutant, le grimpeur possède d'emblée une barrière.

Ainsi donc me voici de retour à Grenoble. Partiels passés je retourne "frénétiquement" dans le Verdon pour défourailler des voies que je "désire" par dessus tout! Je grimpe avec Antoine Pêcher, bonne ambiance. On s'entraide. On serait pas dans le type Modèle nous??

L'objet du délit, on se tate encore... Gaélique ou Miskatonic? Une petite préférence pour la seconde, ouverte par TrouTrou. Le choix se fera de lui même puisque nous tomberons au parking sur Sylvain DiGiacomo et Jonathan Isoard, partis pour Gaélique. (Au final, ces deux forts grimpeurs nous préciserons le degré d'engagement dans cette voie très difficile, qui plus est mouillée).

Miskatonic est une vielle voie mi libre mi artif remise au goût du jour par Sylvain Maurin qui l'a rééquipé. Il faut prendre un petit jeu de friends mais les crux sont spités. Deux essais me permettront de venir à bout de L1 (7c+). Cette fissure déversante offre toute la gestuelle du granit que j'ai eu la chance de pouvoir longuement mimer sur Seb Foissac l'été dernier. Ah cet apprentissage mimétique... Un régal! Un traversée majeure en L3 (7b), un peu humide ce jour là m'offre un beau combat tout en vibrante sur les pitons moussus et il me faudra une belle empoignade tout en verrou pour la faire à vue. Une voie collector donc! Merci TrouTrou

Le lendemain, nous faisons Caca Boudin, un chef d'oeuvre du même ouvreur. Rien à dire, c'est magnifique, Je suis sûr que les petits pas de dalle ne vous laisseront pas indifférents! 


Merci à Antoine et Robin!
A+


2 commentaires:

  1. j'ai ta brique de lait dans mon coffre

    RépondreSupprimer
  2. citer Jean Michel Oughourlian dans un texte sur l'escalade, bravo ! J'attendais quelque chose de neuf sur le blog, pas déçus une seconde, cela reste toujours aussi excellllent.
    Merci
    V. Koutoudjian (toutes ressemblance,de ce nom avec Oughourlian est purement fortuite, et la comparaison s'arrêtera là.)

    RépondreSupprimer