Tentative au Shisha Après une acclimatation assez sommaire où nous avons atteint les 6600m et dormi à 6200m, nous décidons avec Seb Moatti de larguer les amarres pour la face sud ouest du Shisha afin de nous acclimater. Nous projetons d'aller dormir à 7000m. Nous prenons suffisamment de vivres et tentons une approche dans la fameuse voie anglaise, sans doute l'un des monuments fondateurs du style alpin sur les grosses montagnes du globe*. Nos sacs pèsent... Apparemment moins que notre motivation puisque nous progressons avec un rythme séduisant. Un départ au petit matin du camp de base avancé (à 5600m) me fait découvrir les beautés d'un lever de soleil sur l'Himalaya. Quelle chance d'être là, à marcher sur les pas de ceux qui ont initié cet alpinisme pur, rempli d'engagement. Il doit être 9 heures du matin lorsque je franchis la rimaye du Shisha. Je m'entraine pour cette voie depuis plusieurs mois, entre appréhension et appétit. Le doute et la peur de l'oedème, du froid, de toutes ces raisons pour lesquelles la vie est ici impossible. La peur de perdre la tête aussi, de ne pas être à la hauteur de mes coéquipiers, de les pénaliser. Mais aussi la soif de me confronter à ces montagnes aux échelles déraisonnables, de sentir le magnétisme d'une cordée qui déroule, de profiter de cette chance qui m'est donnée d'évoluer sur ces reliefs monstrueux. Le challenge aussi de gérer mes émotions pour éviter le MAM, tester mes réelles motivations pour un alpinisme où l'engagement n'a plus grand chose à voir avec ces montagnes de l'Oisans où tout à commencé pour moi! Il y a quelques années je n'aurai même pas imaginé essayer une voie comme celle ci et maintenant nous y sommes, tout simplement délicieux! Partir dans cette face me fait vibrer parce que c'est sûrement l'inconnu le plus compliqué auquel je me suis confronté jusqu'alors. Objectivement les dangers sont grands dans une voie comme celle ci mais nous nous sentons bien malgré tout. Nous évoluons au rythme, certes peu flatteur de 100m/h, mais les conditions semblent optimales. Je me sens à ma place, l'envie est grande mais rien ne sert de courir petit scarabée, la route est longue...! Il fait une chaleur à crever dans ces pentes et je sens mon coeur qui se révulse comme un forçat à chacun de mes pas. Je l'imagine se débattre avec ce sang visqueux et sombre. Cette vision me pousse à passer le relais à Seb. Même si nous nous enfonçons peu, être devant fait la différence et nous devons nous ménager. Nous sommes à 6250m et je prends conscience de ce que représente une voie de 2 kilomètres de dénivelé au dessus de 6000m! Je trouve une pierre suffisamment plate pour le moelleux de mon derrière et m'y pose. Je pense à l'hippopodame de Gainsbourg et je me dis qu'à cette altitude je dois avoir sa délicatesse et surtout sa Vo2 Max. Petit assurage à l'épaule, en confiance et voici mon Seb qui me rejoint, visiblement en place. On mange un bout, excités par cette escalade sur ce sommet mythique. Les premiers pas sont faciles mais rapidement nous nous ramenons à notre triste réalité, il va falloir être patient dans l'effort. Pour me distraire de cet odieux bourrinage je m'amuse à comparer la taille des séracs par rapport aux photos vues du camp de base. Effectivement, ça calme! Comme deux petites fourmis travailleuses et appliquées nous nous relayons sous ce soleil de plomb jusqu'à 14h. Nous décidons de poser notre bivouac sur une petite arête de neige qu'il faudra assidument terrasser. Nous nous jetons dans la tente, où tout redevient facile et simple. Seul notre compagnon de bivouac, un gentil sérac déversant de 60 mètres de l'autre coté du couloir nous laisse un arrière goût acide. Un point météo nous annonce que demain le temps sera bon. Nous nous endormons heureux et sans se l'avouer nous pensons déjà au sommet... Le lendemain l'éternel rituel du réchaud et du rangement s'impose. (NB compter ¼ d'heure pour plier une mauvaise tente... ce qui n'aide pas à décoller rapidement). Seb s'engage sur la courte arête de neige qui nous relie à la paroi. Les 200 premiers mètres sont avalés rapidement, la neige dure nous aide à progresser sereinement et nous pouvons nous protéger dans les rochers. Les premiers rayons du soleil nous parviennent vers 10 heures et avec eux la qualité des conditions se détériore rapidement jusqu'à proposer une véritable épreuve de brasse coulée. Encore une grosse pensée pour toutes les mouches qui décèdent sur leur papier de colle... Je franchis une mauvaise rimaye en crawl en me mettant au rupteur, ça commence à faire mal. Nous atteignons les 7000m et décidons de terrasser pour le prochain bivouac. Bien suffisant! Remake de la veille on s'écroule dans la tente où le thermomètre affiche 31 degrés, et la montre 15heures... On est bien papa! Un beef Jerky et déjà tout s'embrase dans nos têtes, cette fois on se le dit, on a vraiment envie de monter là haut... C'est sûr! La météo n'est pas de cet avis, nous prenons le cumulus de fin d'après midi et il tombe rapidement 5 cm de neige. Malgré tout, notre bivouac est bien abrité des coulées, nous sommes à portée de main du « couloir en forme de gousse de pois » cher à Doug Scott. Nous avons gravi la partie la plus facile de sa voie, à partir de maintenant, progresser va devenir de plus en plus difficile. Nous en sommes conscient mais avec un bivouac vers 7400m, nous pouvons peut être imaginer une nuit correcte et surtout le lendemain nous partirons sans sacs pour un aller retour léger au sommet. Le coup de fil à Yann Giezendanner, notre routeur, calme un peu nos ardeur. 30 cm doivent tomber dès le milieu de la nuit puis encore une couche le surlendemain. Je me fie beaucoup au ressenti de Seb qui a une bonne expérience de l'altitude et surtout un bon feeling avec la montagne. J'imagine seulement que 60cm tombés dans un couloir de 2000 mètres présagent un charmant déluge de violence. Pour lui c'est clair il faut descendre et maintenant. Nous sommes bien éclatés par notre progression du jour et la désescalade de 1000m en pointes avants ne m'enchante pas mais a-t-on vraiment le choix... Je vous le demande! Non... Alors go back home! Au final une belle reptance dans de la neige surchauffée (où nous noterons le départ spontané de quelques plaques) nous permet d'atteindre le pied de la face en trois heures. Finalement il est bon de savoir qu'en pleine possession de ses moyen, ce couloir peut être redescendu avec une relative aisance. Un but plein de sagesse donc et une expérience majeure pour un premier voyage en Himalaya. Vivement la suite! *Scott y signe avec ses compagnons un parcours dès l'année 1982, relaté dans son très bon livre sobrement intitulé Shisha Pangma...
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Couleur du soir, le coup d'oeil de Didier sur l'Eiger Peak |
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Acclimatation sur l'Ice Tooth (6200m) |
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Petit bivouac! |
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Acclimatation sur le Nyanang Ri ( 7130m) |
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Départ pour la face sud du Shisha |
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Un peu moins fiers au premier bivouac à 6600m |
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Deuxième jour sur le Shisha |
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Le Sursun Ri (6535m) où nous avons ouvert l'arête de neige évidente |
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Petit plaquage avant le crux à 6400m |
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En face de nous la majeure face sud du Shisha (8027m) |
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Dans le crux du Sursun Ri |
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Enfin un sommet! Bien heureux d'être contents |
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La belle arête NE du Sursun Ri (6535m) |
Ouverture d'un sommet vierge : le Sursun Ri (6535m) Ici au Camp de Base, la routine commence à être difficile à supporter. Avec l’adjudant Sébastien Moatti nous décidons de monter dormir au Camp de Base Avancé, récupérer notre matériel et nous lancer dans une aventure en rive droite. D’une altitude plus modeste, les sommets d’en face semble pourtant alléchants. De plus, étant exposés directement au vent, ils semblent moins dangereux d’y grimper. Nous jetons notre dévolu sur le Sursun Ri, pyramide de 6535m. Sa face Est, une belle arête de neige entrecoupée d’un ressaut mixte devrait pouvoir nous mener à l’imposant champignon sommital. Le lendemain, à travers les moraines du Nyanang Phu Glacier nous nous frayons un chemin de fourmi, esquivant les lacs et les pentes abruptes de ce glacier noir. Les pelouses rousses de la rive droite ne sont atteintes qu’en fin de matinée. Nous escaladons alors vires et pierriers. S’y déplacer est aisé. Pour preuve, nous suivons cinq faisans qui nous montrent la voie dans la fameuse Dindon’s Ledge. Nous qui pensions ouvrir… Nous installons un bivouac cosy à 5900m au départ de l’arête de neige proprement dite. Abrités d’un gros bloc, nous passons une nuit correcte malgré de puissantes rafales. Il fait encore noir le lendemain lorsque nous remontons cette esthétique échine neigeuse. Le spectacle du lever de soleil sur l’Himalaya ne tarde pas à éclater. Everest, Lhotse, Makalu, Cho Oyu, plus à l’Est le Gauri Shankar et nos copains qui doivent grimper dans ses contreforts. Il est 10h30 lorsque l’arête se décide à buter sur le verrou. C’est à mon tour de passer devant et je pars dans ce court dédale mixte avec appréhension. Au-dessus de nous l’arête se redresse et l’escalade semble délicate. La remontée d’un plaquage sur le fil, aux protections saines, donne accès à une courte mais teigneuse traversée en rocher, chauffée par le soleil de midi. Le passage en dry parait osé sur ces bossettes. Profitant de la douceur qui règne à 6300m, je retire mes gants et me surprend au plaisir d’arquer ces excroissances de beau granit. Une petite envolée cardiaque plus tard je suis au relais, essoufflé mais content de gouter aux joies de la grimpe à cette altitude. Séb ne tarde pas à relayer dans une traversée mal commode où la neige posée sur les rochers nous réserve quelques petites décharges. Ce dernier relai nous offre accès aux pentes sommitales que nous remontons avec la technique déjà éprouvée des 5 appuis. 150 mètres de pentes en neige raide et exposée entre de beaux ice flutes nous déposent au pied de la massive meringue sommitale. 20 mètres de strates déversent au-dessus de nous. Ces empilements d’années compactées semblent évitables par un petit col. Quelques pas en versant Sud nous offrent la primeur du sommet. Derrière nous, les volutes du Shisha semblent nous narguer, mais nous sommes quand même heureux de profiter de cette pause. Il est 15h, pas de vent, un panorama unique s’étend sous nos yeux émerveillés. Nous savourons la chance d’être ici avant de redescendre vers notre refuge de toile puis le lendemain, au camp de base où nous attend le reste de l’équipe.
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