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20 mars 2016

Les petits mensonges de Marguerite

Un film assez désopilant (histoire vraie ou conte pour enfants je ne sais pas!) intitulé  "Marguerite", raconte la vie d'une richissime bourgeoise passionnée d'opéra, chanteuse elle aussi. Elle organisait ainsi dans son château des soirées où les plus grands maîtres défilaient. Oeuvrant pour une bonne cause, et parce qu'elle était extrêmement généreuse, personne n'a jamais eu le courage de lui dire qu'elle même chantait affreusement faux. De fil en aiguille, et puisque personne n'avait osé lui dire que ce qu'elle proposait aux tympans humains était une douce horreur, elle décide de se produire en ville. Sans raconter la fin de cette histoire succulente et tragique, le parallèle était tout trouvé pour parler d'alpinisme. Aussi étrange que cela puisse paraître, tout est aussi question dans cette discipline d'honnêteté vis à vis de soi et de ceux avec lesquels on s'engage.

Si pour certains l'alchimie dans une cordée passe par le silence, elle est pour moi liée directement à un engagement commun et à une répartition des tâches. Parce que pour réaliser une performance en montagne (en cordée) on a besoin de l'autre. Chacun s’y investit de son mieux. S'investir est forcément relatif aux capacités de chaque membre de la cordée et dans son domaine de prédilection. Voilà pourquoi les cordées diffèrent parfois selon l'objectif en vue. Mais pour moi il est certain que chaque longueur grimpée par le leader pèsera bien plus que cette même escalade effectuée en second, avec une corde bien tendue, des prises nettoyées et un engagement devenu, en quelque minutes, complètement absent. Pour qu'une ascension devienne une performance et transcende les protagonistes il nous faut bien revenir à l'équation de base d'une cordée en synergie, le fameux 1+1=3. Sans ça, pas de performance complète mais toujours cette bride, cette limitation souvent liée à un refus de s'engager. Parce qu'il faut se faire confiance pour partir dans une longueur compliquée perchée bien haut, en expé ou dans les Alpes.. Mais il suffit d'une seule seconde pour débloquer cette situation. Y aller! Comme ce gosse au sommet du plongeoir. Savoir pourquoi je veux sauter, si ce saut est à priori à ma portée, et puis lâcher prise et sauter dans l'inconnu.

Au relais, on sent parfois poindre ce concept abstrait et pourtant lourd de conséquence qu'est l'engagement. Il est alors impossible, à cet instant précis, de jouer avec la vérité. Impossible de se mentir. Et même si pour moi la pratique de la montagne comble mon ego, elle m'épanouit aussi parce qu'elle est une pratique dans un endroit loin du monde dans lequel on ne triche pas. Cette dimension est majeure, elle est fantastique humainement parlant. Elle est également aux antipodes en nos temps de communication "2.0", où le mensonge par omission est légion, où tout n'est qu'image... Se retrouver en montagne, dans un univers qui nous force à nous regarder en face est une chance! 

Dans la cordée et dans l'engagement, même sans mot dire (et sans maudire), on sent les choses. On sent les tenants et les aboutissants de chaque décision et surtout on sent plus facilement les gens, puisque là haut le masque est tombé. Toute la préparation effectuée en amont peut s'exprimer. Au pied d'une face, déjà, le résultat est donné. Tout ce que nous avons appris à faire n'a plus qu'à s'exprimer. Ici pas de place au bluff. Ce n'est pas au pied de son projet ultime que l'alpiniste progressera. Pour moi c'est en amont, c'est par la passion de la montagne que petit à petit les dalles s'imbriquent. C'est dans cette montagne au jour le jour qu'on apprend à connaître son fonctionnement propre. 

Et la cordée se construit comme nous. Elle aussi s'établit au gré des expériences et des projets communs, pour permettre à chaque membre de connaître les qualités et les défauts de l'autre. Le degré d'affinités consolide ou fissure alors cette addition humaine. Il la transcende ou la tire vers le bas. A partir de là, libre à chacun d' accepter ou de faire évoluer certains fonctionnements. Forcément cela renvoie tout simplement à la motivation primaire, au besoin d'être en montagne et à cette passion de la parcourir. Tout est là. La montagne apporte(ra) forcément à chaque pratiquant ce qu'il y cherche, à la hauteur de son implication. Pour moi il suffit d'aimer cet univers, continuer à y entretenir sa flamme, quitte à tout perdre. Bien sûr je parle sans savoir, bien sûr je suis en bonne santé. Si j'étais devenu tétraplégique suite à une mauvaise chute, si j'avais les mains coupées pour m'être oublié un instant là haut, mon discours serait sûrement différent. Mais l'engagement est là, dans ce paradoxe. Entre un plaisir d'être loin de tout et de s'épanouir dans chaque seconde de l'ascension, mais surtout continuer d'identifier au mieux le fil rouge à ne pas dépasser. Il s'agit de trouver du plaisir dans un univers à priori hostile. Voilà pour moi le vrai challenge. Continuer à garder le sourire même si c'est compliqué, voilà ce vers quoi je veux aller. Je sais que j'en suis loin mais la pratique de la montagne me motive aussi pour cela. 

 Dès le début j'ai eu la chance de grimper avec des gens qui ne se mentent pas et qui ne me mentent pas. Sur mon niveau, sur mes réelles capacités. Mais avant tout, j'ai la chance de grimper avec des gens qui me permettent de me faire confiance. Qui me poussent au relais pour que je parte devant. Le but étant, à terme, de faire une part égale du "travail". Mais ils m'aident aussi et c'est bien là le plus important, à me rappeler de ce que j'ai vécu là haut. Cet engagement qui n'est plus rien une fois assis dans un canapé. Ces doutes qui n'existent plus quand on raconte ses guerres, une bière à la main. Je suis content de pratiquer l'alpinisme avec ces gens qui m'aident et qui me permettent de me surpasser, je suis chanceux d'avoir été élevé dans ces valeurs. Merci à vous pour ces moments géniaux passés là haut!



1 commentaire:

  1. Merci Max pour le partage que tu sais faire de tes réflexions et la profondeur de celles-ci. Tu es un homme de valeur et tu peux être fier de toi.Quant à moi, je suis fière d'être ta tante! Bonne route à toi!
    Laurence

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