« Y’a pas que les Jorasses dans la vie ! »
D’autant plus qu’à Chamonix la sinistrose météorologique ambiante semble s’installer durablement… Pas de conditions, pas de créneau donc… Simplement pas possible ! C’est une énième séance à la salle d’escalade des Houches qui ouvre vers une perspective ensoleillé et glacée. Rien ne vaut la parole d’un local connecté à Instagram. Alors quand Corrado Pesce m’envoie la photo de la belle « Apparizione » à la Torre Innerkofler, l’envie de visiter un nouveau massif fait écho. Cette goulotte, classique certes, mais rarement en condition semble exceptionnellement formée. Cela pourrait-il augurer quelque chose de plus aventureux dans le secteur ?
Une enquête, connectée elle aussi, me permet de dégoter une webcam intéressante sur deux lignes majeures. La première au Sassolungo, l’autre, juste en face. Celle qui m’a toujours fait saliver c’est ce trait de glace suspendu dans la face gazeuse du Sasso Pordoï, ouverte en 2013 par Jeff Mercier et le même Corra. Une belle inspiration de 800 mètres qui emprunte une voie classique d’été, la Fedele, pour rejoindre l’étonnante structure suspendue. Il n’en fallait pas plus pour affoler l’envie de suivre leur trace. Le mois de Décembre semble être l’époque parfaite pour grimper cette face ouest.
Nous partons avec Seb Ratel pour quelques jours dans la région de Canazei, un coup de poker qui a de grandes chances de n’accoucher que sur la répétition de cette goulotte classique à la Torre Innerkofler. Après tout, il s’agirait déjà d’une belle reprise de la glace ? Mais surtout c’est l’espoir du vague trait blanc de la face ouest du Sass Pordoï qui nous affole…
L’envie de tenter quelque chose dont on ne détient que très peu d’informations nous motive. Retrouver l’aventure dans les Alpes c’est peut-être déjà ça ! Partir renifler une ligne majeure avec simplement quelques brides d’informations et un bon pré sentiment dans le coffre de la voiture.
Nous rejoignons Canazei vers 22 heures et préparons le matériel pour notre tour de chauffe dans « Apparizione ». Le lendemain, à la frontale sous les embruns de canons qui s’activent à combler un manque latent de neige en face sud, nous nous dirigeons vers la ligne. Arrivés au pied nous sommes déjà transportés par l’escalade à venir. Un beau mur de glace collée ouvre la porte d’une goulotte intéressante. Au sommet le panorama me prend par les sentiments. Encore une fois, à rester confortés dans nos alpes chamoniardes, on peut être tenté d’oublier à quel point l’Arc est vaste ! La Civetta, le massif des Pala de San Martino, La Marmolada, le Mont Agner… Tous ces sommets historiques, toutes ces faces impressionnantes s’alignent devant nous dans une journée qui vire doucement vers le mauvais temps. Les nuages violâtres qui viennent du nord subliment notre immersion dans le massif et nous descendons vers une bière légère.
Visiblement on se rappelle encore comment mettre une broche et des crampons, on peut embrayer sur la deuxième phase. Un repérage, chauffage à fond dans le Berlingo, nous montre que la face Nord du Sassolungo est un chantier de déneigement. Pas de glace contrairement à ce que je pensais avoir vu sur la webcam… « Plan B ! Passe le col, tu vas voir ! »
L’apparition du phénomène « Ghost Dog » en face du Col Sella me saisit au corps comme les premiers signes d’une démangeaison qu’on hésite encore à gratter. « Ca fait, c’est sûr… » On jumelle, on compare avec les photos de l’ouverture et surtout on se rend compte que c’est très beau. « Peut-être un peu fin non ? » Un réflexe mental balistique me pousse à répondre non. Après tout j’ai traquenardé Sébastien jusqu’ici, ce n’est pas pour lui proposer un faux plan ?
Ca y est… Ça gratte !
L’après midi se fractionne entre deux pizzas surdimensionnées. La première à 14 heures pour voir qu’effectivement le soleil tape très tôt sur les scuds suspendus de cette face ouest. La deuxième vers 19 heures pour se persuader que la fraicheur ambiante fera du bien à la glace cette nuit.
Bref, on s’endort comme une veille de course qui fait peur ! Pleine d’appréhensions et d’inconnu. Ça tombe bien c’est exactement la raison de notre venue ici. Si on était sûr de faire, ce serait quand même moins drôle non ?
A 2 heure 30 quand la pluie tambourine sur le Velux, la situation me fait déjà nettement moins rire. L’aventure me met déjà beaucoup plus les glandes et mon curseur « Qu’est ce qu’on fait là ?» commence à venir taper doucement le rouge foncé. D’autant plus que ce n’est pas la première fois que je pars en cascade avec de la glace en surfusion et ça n’a, jusqu’à présent, jamais été un franc succès.
Bref on se rendort et on part à 6 heures pour rejoindre le pied de la face dans une neige fondue qui appelle à tuer le poussin dans l’œuf. Dans une obscurité d’obsidienne nous laissons par moment nos frontales éteintes juste pour tenter de visualiser la fantomatique masse blanche suspendue. N’ayant pas repérés l’accès il nous faut tenter de visualiser au mieux le « Ghost Dog » pour trouver l’attaque de la Fedele.
Cette sournoise petite pluie a recouvert la paroi de verglas. Tout est gelé et il fait grand beau. Cela signifie deux choses assez négatives : on va mettre un temps fou à grimper du 4 sup (mais ça, on a l’habitude!) et nous attaquerons la glace suffisamment tard pour nous retrouver plein cagnard sous les stalactites. Et la glace au soleil, à part sous le cercle arctique, c’est plutôt mauvais signe. Le point positif, celui qui m’a motivé à venir quand même, c’est qu’il est possible de grimper la dolomitique face ouest du Sasso pordoi en empruntant uniquement le rocher de la classique voie Fedele. Cette méthode habile permet de s’affranchir des problématiques vitales qui accompagnent la remontée d’une cascade exposée ouest lors d’une chaude après-midi de beau temps.
Donc rien n’est complètement incohérent à se lancer dans l’escalade de la Fedele, nous verrons bien plus tard pour la suite.
Effectivement les premières longueurs me malmènent. Du 4 improtégeable où poser la main sur la paroi revient à zipper instantanément. Une petite erreur dans la recherche d’itinéraire fait le reste. Six longueurs plus tard, sans raison apparente, je commence étonnamment à trouver un sens à ce que nous faisons. Nous sommes à l’ombre à déblayer pour nous protéger et grimper, le vide se creuse. La rusticité de la situation me rappelle que c’est justement ce qui me plait en alpinisme. Sébastien pour sa part suit en second avec le gros sac contenant le bivouac. Pour lui aussi un semblant de cohérence semble poindre. « Je fais mon Body Training !» me glisse t-il au relais. Son accent savoyard imite à merveille le grand Marc Ravanel. Je ne peux que me contenter de lui répondre un simple « Raide ! » bien appuyé. Puis de poursuivre dans des longueurs criblées de trous à lunules et de bonnes prises. L’escalade et de plus en plus ludique et il est même parfois permis de se risquer à utiliser des prises avec les mains sans chuter dans la seconde. Un bonheur simple en somme.
A onze heure nous arrivons finalement au point critique que nous avons reculé au maximum. « Un nœud décisionnel » comme on dit à l’ENSA. Effectivement c’est assez emmêlé. La longueur qui nous surplombe est majeure. Un 6a qui connecte une pieuvre de glace et qui se termine par une structure en 6… Alléchant mais surtout stressant car la température est toujours bien trop positive pour ce genre d’escalade. Finalement le sac de nœuds semble se délover de lui-même. En empruntant les trois prochaines longueurs de la Fedele on va pouvoir retarder à nouveau la confrontation avec la réalité d’une bonne heure. Chouette ! Je poursuis donc en rocher, danger objectif proche de zéro et déblayage toujours aussi ludique.
A R14 ca y est nous y sommes, pile au rendez-vous avec le soleil, comme convenu. Cette fois la solution de réduction du risque est un peu moins clairement inscrite dans le manuel de l’ENSA. Je propose donc 100 mètre de glace à corde tendue à faire la plus vite possible pour trouver un relais abrité. C’est parti ! La glace est bonne mais surchauffée. Le thermostat 6 qui semble s’être mis en place depuis quelques minutes m’indique qu’il faut rentabiliser les séances d’explosivité et mettre un peu plus de rythme. Quand enfin je trouve un relais abrité je peux profiter à postériori de cette ambiance dingue. Nous sommes dans une profonde entaille de la paroi couverte de glace. Au-dessus de nous, une longueur courte mais délicate. Des bulles de glace collées sur ce calcaire. J’adore !
Seb prend le relais et en un pas de dalle félin nous extirpe du problème. Encore une belle longueur de traversée aérienne dans un décor digne de Tolkien et nous atteignons la vire et le bivouac après 600 mètres d’escalade magnifique.
La suite est une base du genre pour quiconque s’est focalisé sur un seul paramètre important dans sa gestion des risques. Autrement dit à trop regarder la case « Température » de Météoblue, j’en ai oublié de regarder la case « Vent ». Parce que pour avoir rapidement remarqué que dans la case « Précipitations » il y a avait marqué 2 mm, je ne me suis pas dit une seconde que c’était un problème sans tente de bivouac.
Nous nous installons donc confortablement en regardant les mêmes trainées violâtres que la veille venir du Nord…
A 3heures la situation est moins « Comfy », comme on dit aux Etats Unis. Plutôt « Wetty » en l’occurrence. Des fortes rafales poussent les deux millimètres cités plus haut en une congère d’une autre échelle contre Seb. Ce dernier perdant du terrain face aux éléments se pousse logiquement contre moi, qui suis moi-même collé contre une autre congère. Bref petite nuit !
Petit dej à la frontale, assez charmant sous les bourrasques et nous décollons pour la suite du programme avec une belle onglée. 200 mètres restent à parcourir. De bonnes conditions nous permettent de terminer la voie en prenant un plaisir fou. Se protéger dans les raides placages est très intéressant, il faut savoir se faire léger parfois, trouver la ligne de plus faible résistance et s’élever dans un cadre d’une beauté hors norme.
L’esthétique de cette ligne et son caractère alpin indéniable nous auront transportés. Et même si la déception de ne pas avoir grimpé les longueurs les plus belles nous accompagne au sommet du Sasso Pordoi, le plaisir de la gestion de l’inconnu de cette course splendide nous aura séduit.
A refaire d’urgence !
Tu as toujours été mon idole "contemporaine" en terme de montagne, ce blog c était vraiment magnifique ! J ai toujours lu tous les articles. Tu resteras un exemple et une superbe source d inspiration. Courage à tous tes proches.
RépondreSupprimerJean-louis
Bon voyage l'ami, on pense fort à toi en bas.
RépondreSupprimerManu
Je me suis toujours dit qu'on était lié par un truc, je sais pas quoi. Une espèce de compréhension mutuelle. Comme si on savait exactement comment l'autre fonctionne. J'aurai été fière de t'avoir comme petit frère. Tes conneries et ton rire résonneront toujours au Glacier Blanc.
RépondreSupprimer