Tout ce que j'imaginais tournait autour
d'une belle hivernale de Marseillais, sous le cagnard italien. Après
tout, l'anticyclone présent depuis quelques temps sur l 'Alpe
présageait une Aiguille Noire de Peuterey bien sèche et donc une
escalade qui devait coller à ce que les alpinistes peuvent y trouver
en été... Autrement dit une course classique où les pitons sont
légions et où les quelques longueurs de V+ viendraient assaisonner
nonchalamment une escalade longue et méditative.
On est à J-1, le vent du Nord décape
le Mont Blanc et à l'arrière plan d'une énième pizzéria de
Courmayeur s'échine la plus longue arête d'Europe. Imposante de ses
quelques 4500 m de dénivelé cumulés elle surplombe la petite ville
italienne d'un regard hautain captivant. Le pari de la grimper en
hiver ne me semble jusqu'ici qu'un entraînement de plus pour gravir
peut être un jour cette face sud du Shisha, fil rouge depuis mon
entrée au Groupe.
Dans la Noire |
Je plie donc mon sac en me resservant
une dernière cuillère d'un dîner princier, juste au cas où les
réserves n'étaient pas complètement pleines. Le réveil est calé,
le planning aussi. On peut laisser rouler jusqu'au petit matin.
Les lumières de ce tunnel interminable
finissent de nous faire entrer dans notre parenthèse
vert-blanc-rouge. Nous quittons la voiture aux environs de 5 heures
ce dimanche matin, cueillis par une brise descendante qui nous glace
et nous rappelle s'il le fallait encore, que l'hiver n'est toujours
pas terminé.
Encore mal immergé dans le projet, il
me faudra cette marche d'approche jusqu'au Fauteuil des Allemands
pour asseoir peu à peu l'idée que l'effort commence Ici et
Maintenant et que théoriquement il se finira dans quatre petits
déjeuners.
Mais pour l'instant, au soleil devant
l'entrée du refuge, nos discussions sont encore celles du monde d'en
bas, auréolées de notre égo d'alpiniste qui pourrait presque faire
de l'ombre aux 1100m mètres de la Noire qui nous attendent demain.
Ce n'est plus qu'une question d'heures avant que le masque d'orgueil
tombe et que nous n'ayons vraiment besoin les uns des autres.
Deuxième réveil matinal, après une
journée plutôt cool où nous avons fait la trace jusqu'au pied du
mur pour voir que le maçon n'était pas un manche et qu'il nous
faudra du temps avant d'embrasser la vierge. Nous débouchons à
nouveau à pied d'oeuvre alors qu'il fait encore sombre, il me tarde
d'aller mettre les doigts dans ce premier ressaut qui ouvre le bal de
notre aventure. Je m'encorde et part dans l'inconnu dalleux pour
finalement réaliser ma première erreur d'itinéraire, après 5
mètres de varappe... Pendu sur un gros bac, dans un surplomb qui me
paraît plutôt ardu pour du 4 sup, à corde tendue, les avants bras
saisis d'acide. Alors que le jour se lève pour me montrer que la
voie passait bien à droite de ce piton et non droit au dessus, je
tente péniblement de désescalader le coincement de lame délicat
qu'il m'avait fallu réussir pour me hisser sur ces deux bonnes
prises. Pestant haut et fort contre ma crétinerie je reviens dans le
monde réel et finis d'évacuer les tendances au bourrinage que nous
avions si bien enclenchées dans les plafonds suisses de Kandersteg.
C'est donc remonté comme un horloge helvète que je me remets dans
le droit chemin et que je prends conscience de la réalité du
terrain. Ca y est, pour ma part je suis rentré dans le projet, et ça
fait du bien.
Après quelques centaines de mètres de
grimpe facile, les choses se compliquent et nous grimpons maintenant
longueur après longueur dans du mixte où fermer le bras n'est pas
un vain mot. Les rétablissement en neige inconsistante demandent une
détermination et une attention toute particulière. Ce terrain
présente des difficultés étonnamment soutenues, et nous prenons à
chaque départ du relais notre M5 réglementaire, au minimum. Sur
l'arête, les champignons nous rappellent l'Alaska. C'est en début
d'après midi que je finis par jeter l'éponge et passer le relais à
Seb, je crois que j'ai déjà bien fait chauffer le rupteur mental.
Nous suivons avec Tonio et nos gros sacs un Seb bien déterminé à
ne pas lâcher l'affaire. Qu'est ce tu peux faire?
Mixte dans la Noire |
Vers 5 heures, après une douzaine
d'heures d'effort nous débouchons à notre premier bivouac, une
arête de neige quatre étoiles. Nous sommes arrivés à grimper la
moitié de cette arête sud. Cela représente gentiment une journée
de retard sur notre planning prévisionnel. Le premier jour, ça fait
mal! Cette garce de pointe Bich (la bien nommée...) nous surplombe
d'encore 500 m d'un regard encore plus provocateur qu'hier. Nous nous
promettons que demain elle prendra ce qu'elle mérite. Et nous
sombrons facilement dans un sommeil réparateur.
Je repars en tête pour ce troisième
jour dans cet itinéraire pur et logique. Il faut se laisser guider
par le terrain, toujours raide et soutenu, entre rappels, dalles et
cheminées retorses. A mesure que nous nous élevons sur cette arête,
le paysage devient de plus en plus grandiose et nous pouvons admirer
au loin le magnifique massif des Ecrins. Mes collègues (et non moins
amis) se régalent de cette vision délicieuse en se répétant qu'il
faut vraiment qu'ils aillent grimper plus souvent dans cet Oisans
sauvage, auréolé d'une beauté somptueuse.
Seb prend le relais à nouveau et
grimpe comme un damné la succession de passages difficiles de la
Pointe Bich, que nous finissons par défourailler allègrement quand
le soleil s'abaisse sur l'horizon. Un second bivouac, cosy et abrité,
n'ayant rien à envier à son homolgue dit « du berlingo »,
nous tend les bras pour la nuit. Le vent nous accompagnera pendant ce
repos bien mérité.
Bivouac du Berlingo |
Le lendemain, partis pour rallier le
bivouac Craveri, nous nous levons comme à notre habitude à 5
heures. Je trace donc la route jusqu'au sommet de la Noire en une
centaine de mètres de corde tendue dans une neige ayant parfois la
cohésion du sucre semoule, ce qui rend la progression encore plus
rigolote. Le vent qui souffle sur la vierge nous pousse à ne pas
trainer pour la photo finish que nous ferons quelques mètres en
contre bas, au départ des impressionnants rappels qui nous attendent
en face nord. Seb réalise une gestion parfaite de ces rappels qu'il
a déjà parcourus une fois, en été. Nous implorons à chaque
relais la frivolité de nos copines, espérant pour une fois être
les plus beaux cocus que cette terre ait portée. Et cela fonctionne,
nous en concluons qu'elles doivent se faire à peu près aussi
plaisir que nous là où elles sont. Avec peut être un peu de
culpabilité car la corde ne manque pas de se coincer sans gravité
dans quelques blocs récalcitrants et se voit amputée d'une dizaine
de mètres.
C'est au tour de Tonio de prendre en
main notre cordée et de nous mener au bivouac Craveri par la
traversée des Dames Anglaises qu'il a lui aussi déjà réalisé en
été. Nous y débouchons dans un fort vent d'Est qui glace
instantanément nos gants trempés par la chaleur du versant Frêney.
Une entrée épique dans le fameux bidon nous ouvre les portes à une
nuit tranquille et protégée. Il nous reste une seul bivouac et au
moins deux jours pour parvenir au sommet du toit de l'Europe. Le
calcul est vite fait, ce soir c'est demi portion!
Le quatrième jour se lève sur des
cordes tendues par un leader remonté à bloc. Notre Seb nous dépose
au sommet de la Blanche en moins de temps qu'il ne faut pour le dire,
ce qui nous remonte le moral puisque nous apparaissons, après la
traversée de la Blanche et ses quelques rappels, au col de Peuterey
à 13 heures. Tout reste donc jouable avec notre quantité de
nourriture et de gaz. La fatigue s'installe bel et bien dans nos
corps. Il va falloir résister avec ce qu'il nous reste dans les 800
mètres de l'arête de Peuterey et jouer fino pour éviter au mieux
la glace noire dont elle est principalement revêtue. Nous optons
pour une pause d'une petite heure à ce fameux col et nous grillons
notre dernier bivouac demi portion. C'est Tonio qui s'élance dans la
dernière ligne, pas vraiment droite, jusqu'au sommet, avec un rythme
et une lecture de terrain parfaite.
Arête de Peuterey |
Nous finissons par atteindre la
Mont Blanc de Courmayeur alors que le ciel s'enflamme. Nos têtes de
lémuriens anémiques prouvent que nous avons un peu tiré ces
derniers jours. La remontée au Mont blanc finit de nous détendre et
nous nous retrouvons là haut à la nuit tombée. Le vent d'Est que
nous avait prévu Yann nous bouscule au sommet pour une deuxième
photo finish bien ratée et nous incite à ne pas tarder et à
rejoindre le Goûter où nous nous réfugions. En quelques heures de
descente le lendemain nous rejoignons Bellevue dans la chaleur d'une
parfaite journée d'anticyclone hivernal.
Merci mes niots.
A plus
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