Mon court passif avec cet homme me pose des questions. La plupart du temps que j'ai partagé sa corde, je m'en suis décordé...! Sombre logique, la sainte image de la Cordée en prend un coup. Quand l'adrénaline atteint sa saturation, qu'il n'y a plus que notre souffle pour essayer de calmer ces impuissantes sensations que le corps et que le support nous envoient. A ce moment précis, même si la vis du reverso est déjà dégoupillée, je ressens la Cordée comme jamais.
La réalité du risque, à ce stade, c'est le troisième laron. On lui a bien dit de venir avec nous. C'est nous qui l'avons invité en buvant une bière, ou en rentrant d'une journée de rêve à Gramusat. Pour la prochaine sortie, pour l'année prochaine, pour le prochain fantasme qu'on veut devenir réalité. Grimpant à côté de nous en solo, ou bien vissé dans les tonnes du mastodontes que l'on piquouille, le risque fait partie prenante de notre progression. Réel mais risqué, loin des jeux vidéo dont j'ai été fan, gamin. Ici je veux me sentir vivre, ne surtout pas voir YOU WIN s'afficher en rouge sanglant sur un écran vide. Encore moins pouvoir lire GAME OVER. Vivre, m'exprimer par mes gestes, mes anticipations, mes erreurs.
J2 - Dod prend une photo au téléobjectif depuis le parking. Merci à lui |
Et même si mon ventre se transforme soudainement en nid à serpents, la voix de Ben me rassure et me calme. Parce qu'il sait aussi bien que moi les tenants d'une telle entreprise. Il sait que faillir maintenant n'est pas concevable. Et aussi parce qu'en s'assurant décordé de l'autre on s'offre une rédemption... Comment pourrais-je refaire un jour de la glace si le vide, d'un coup, engouffrait mon compagnon et son support? Me laissant seul et suspendu sur une minuscule terrasse perdue en plein ciel. Mes pires cauchemards ne m'ont encore jamais infligés une telle vision...
Taquiner la glace, les pieds à 300 mètres du sol, par delà un surplomb inhumain de 50m. Voilà mon rêve! Raisonner un peu pour que la résonante structure reste stable. Que ces oscillations, faibles mais perceptibles, entendues par nos sens éveillés, restent un moindre mal. Profiter d'un équipement intelligent et fiable qui nous lie au mieux au rocher sain plutôt qu'à cette glace vivante. Gérer ce vide insondable, n'être plus qu'un corps qui agit dans l'instant, mettre à profit l'expérience accumulée jusqu'ici avec un seul objectif, en accumuler mille fois plus! Et le plus difficile dans tout ça, savoir si nous sommes dans le Vrai. Ais-je seulement peur du vide? Ou bien est ce mon inconscient qui m'envoie un signal de détresse pour me dire que je dois fuir d'ici au plus vite? Qui a raison? Est ce seulement le syndrome de la rimaye que je peux vaincre en me motivant ou bien dois-je écouter une voix intérieure qui me protège? Me voici face à la plus féroce interrogation que je ne me suis jamais posée. "Ose toujours et tu sera l'égal des Dieux" dit-on. A partir de quand oser ne serait il plus raisonnable? A partir de quel point casser mes barrières mentales mettrait ma vie en danger? Peut être cette question restera en suspens jusqu'au bout, jusqu'à ma Rocking Chair sur laquelle je me balancerai quand mes articulations rongées par l'artrose auront d'elles mêmes mis un frein à ma pratique. Quand un sourire viendra balayer toutes ces années de doute en fêtant mon 85 ème anniversaire, le 10 Mars 2073!
Je n'ai jamais eu peur de renoncer jusqu'à présent. Le PGHM de Chamonix peut en témoigner! Lorsqu'un matin d'automne 2011, où l'anticyclone annoncé pour 5 jours battait son plein, je l'ai appelé pour justifier une détresse qui n'était là que dans ma tête, à R8 de No Siesta, un matin, à 9h, dans un ciel limpide! Peut être ai-je écouté ma voix intérieure? Peut être était ce mon inexpérience? Mon manque de confiance? Evidemment l'erreur était là, j'étais subitement dans un lieu qui me dépassait, trop dur pour moi. Je plaide coupable bien sûr! Mais la vision d'un orgueil subitement fissuré quand je rentre à Chamonix la queue basse ne justifiera jamais le coup de Poker. "Ose toujours et tu seras l'égal des Dieux".
J3 - Hissage dans L9 avant la tombée de la nuit! |
Au déséquipage - gros balans plein gaz! Dod encore au téléobjectif... Sympa ;) |
Partir en cohérence avec mon compagnon de fortune, partir affuté dans la tête et dans le biceps. Partir avec un rêve qui me tient à coeur. Laisser l'expérience se construire en écoutant mon ventre se tordre, mes mains se couvrir de moiteur ou mes pupilles se dilater devant une ligne majeure, une peur déraisonnée, ou une réussite dont je suis fier.
Ce matin est le deuxième jour de notre aventure Gramusienne. Après avoir fixé la veille jusqu'à R3, nous sommes redescendus à la maison pour une dernière nuit douillette et avons emporté le reste du matos nécessaire. Il a neigé toute la nuit à Briançon quand nous émergeons, à 5h. Et le doute s'empare de nous. Après l'accès en bagnole qu'on connait si bien, sortir de la chaleur du camion pour larguer les amarres une fois pour toute dans le mur du Flocon est une épreuve en soit! Les paroles de Dod me trottent encore dans le tête. A partir de R7 toute entrée est définitive! Pas moyen de redescendre avec notre simple corde d'attache et notre trail dans ce dévers monstrueux. Il faudrait fixer pour redescendre. Il faudra donc s'échapper par le haut.
Et si on y arrivait pas? Et si la descente était trop dangereuse?
Mais c'est aussi ça qui m'a motivé à la première lecture du topo. Partir avec sa maison pour une belle mission où j'apprendrai sur le tas les rudiments de l'artif entre les bulles de glace. S'accrocher aux prises comme à son compagnon. S'aider des prises, s'aider de son compagnon pour se transcender. L'image de la courte échelle n'a jamais été aussi vraie pour moi qu'ici. S'envoyer le rocher le plus pourri de l'Oisans avec nos gros sacs à hisser pour profiter de cette île magique tout là haut! Cet îlot de glace m'obsède depuis que je sais que des gens sont assez fous pour grimper 5 jours dans le pue le plus exécrable de la vallée pour grimper LA dernière ligne logique de Freiss! Enfin logique... Ca reste à voir. Surtout quand on voit le passif d'un des ouvreurs. Capable de suivre une ligne imaginaire pendant 400 jours de bartasse innommable. Je me méfie des dires d'un alpiniste qui peut rester 14 jours seul en hiver pour gravir une des voies les plus dures des Jorasses. Mais j'ai aussi tellement envie de vivre ce qu'il a vécu dans ce mur. Quand je suis passé prendre des infos chez lui, il m'a fait saliver, tout simplement!
Alors on remonte, pour voir. Quelques conversions et déjà l'état d'esprit change. Une blague, une histoire. La réussite nous tend les bras! Cet effarant contraste, c'est ça la montagne. Notre progression fait le soleil et la pluie sur nos petites vies de grimpeurs. Ca déroule, on blague. Quand le grain de sable s'insinue dans les rouages, on commence la vraie aventure! Celle qu'on vient trouver ici après tout.
Il faut le dire, nous avons vécu l'aventure en montant notre portaledge le soir même! 4 heures pour trouver la solution. Verts.. Bleus... On est passé par toutes les couleurs en montant ce ledge que nous avions eu la prétention de ne pas avoir besoin d'essayer chez nous, au chaud. De la colère aux regrets, blessés de ne pas pouvoir comprendre ce play mobile niveau 6-8 ans... Finalement la solution, après le repas, en remettant tout à plat. En s'investissant tous les deux sans tout laisser reposer sur l'autre. La solution fut la nôtre et c'est sans doute une des images les plus parlantes qui me restera de cette voie.
Nous sepentons les deux jours suivant entre réussites enchantantes et échecs inquiétants pour finalement faire les choix qui ont été les bons, à cet instant donné.
Les deux coulées qui tombent dans notre voie de descente, une fois arrivés au parking, justifient de notre chance.
Desecnte par les Racines du Ciel, ici au dessus de la 2ème racines |
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