Fond d'écran

Verdon
"Tom et je ris"
Copyright Pehuen Grotti

GMHM

15 mars 2014

Intégrale de Peuterey


Tout ce que j'imaginais tournait autour d'une belle hivernale de Marseillais, sous le cagnard italien. Après tout, l'anticyclone présent depuis quelques temps sur l 'Alpe présageait une Aiguille Noire de Peuterey bien sèche et donc une escalade qui devait coller à ce que les alpinistes peuvent y trouver en été... Autrement dit une course classique où les pitons sont légions et où les quelques longueurs de V+ viendraient assaisonner nonchalamment une escalade longue et méditative.

On est à J-1, le vent du Nord décape le Mont Blanc et à l'arrière plan d'une énième pizzéria de Courmayeur s'échine la plus longue arête d'Europe. Imposante de ses quelques 4500 m de dénivelé cumulés elle surplombe la petite ville italienne d'un regard hautain captivant. Le pari de la grimper en hiver ne me semble jusqu'ici qu'un entraînement de plus pour gravir peut être un jour cette face sud du Shisha, fil rouge depuis mon entrée au Groupe.

Dans la Noire

Je plie donc mon sac en me resservant une dernière cuillère d'un dîner princier, juste au cas où les réserves n'étaient pas complètement pleines. Le réveil est calé, le planning aussi. On peut laisser rouler jusqu'au petit matin.


Les lumières de ce tunnel interminable finissent de nous faire entrer dans notre parenthèse vert-blanc-rouge. Nous quittons la voiture aux environs de 5 heures ce dimanche matin, cueillis par une brise descendante qui nous glace et nous rappelle s'il le fallait encore, que l'hiver n'est toujours pas terminé.

Encore mal immergé dans le projet, il me faudra cette marche d'approche jusqu'au Fauteuil des Allemands pour asseoir peu à peu l'idée que l'effort commence Ici et Maintenant et que théoriquement il se finira dans quatre petits déjeuners.

Mais pour l'instant, au soleil devant l'entrée du refuge, nos discussions sont encore celles du monde d'en bas, auréolées de notre égo d'alpiniste qui pourrait presque faire de l'ombre aux 1100m mètres de la Noire qui nous attendent demain. Ce n'est plus qu'une question d'heures avant que le masque d'orgueil tombe et que nous n'ayons vraiment besoin les uns des autres.

Deuxième réveil matinal, après une journée plutôt cool où nous avons fait la trace jusqu'au pied du mur pour voir que le maçon n'était pas un manche et qu'il nous faudra du temps avant d'embrasser la vierge. Nous débouchons à nouveau à pied d'oeuvre alors qu'il fait encore sombre, il me tarde d'aller mettre les doigts dans ce premier ressaut qui ouvre le bal de notre aventure. Je m'encorde et part dans l'inconnu dalleux pour finalement réaliser ma première erreur d'itinéraire, après 5 mètres de varappe... Pendu sur un gros bac, dans un surplomb qui me paraît plutôt ardu pour du 4 sup, à corde tendue, les avants bras saisis d'acide. Alors que le jour se lève pour me montrer que la voie passait bien à droite de ce piton et non droit au dessus, je tente péniblement de désescalader le coincement de lame délicat qu'il m'avait fallu réussir pour me hisser sur ces deux bonnes prises. Pestant haut et fort contre ma crétinerie je reviens dans le monde réel et finis d'évacuer les tendances au bourrinage que nous avions si bien enclenchées dans les plafonds suisses de Kandersteg. C'est donc remonté comme un horloge helvète que je me remets dans le droit chemin et que je prends conscience de la réalité du terrain. Ca y est, pour ma part je suis rentré dans le projet, et ça fait du bien.

Après quelques centaines de mètres de grimpe facile, les choses se compliquent et nous grimpons maintenant longueur après longueur dans du mixte où fermer le bras n'est pas un vain mot. Les rétablissement en neige inconsistante demandent une détermination et une attention toute particulière. Ce terrain présente des difficultés étonnamment soutenues, et nous prenons à chaque départ du relais notre M5 réglementaire, au minimum. Sur l'arête, les champignons nous rappellent l'Alaska. C'est en début d'après midi que je finis par jeter l'éponge et passer le relais à Seb, je crois que j'ai déjà bien fait chauffer le rupteur mental. Nous suivons avec Tonio et nos gros sacs un Seb bien déterminé à ne pas lâcher l'affaire. Qu'est ce tu peux faire?

Mixte dans la Noire
Vers 5 heures, après une douzaine d'heures d'effort nous débouchons à notre premier bivouac, une arête de neige quatre étoiles. Nous sommes arrivés à grimper la moitié de cette arête sud. Cela représente gentiment une journée de retard sur notre planning prévisionnel. Le premier jour, ça fait mal! Cette garce de pointe Bich (la bien nommée...) nous surplombe d'encore 500 m d'un regard encore plus provocateur qu'hier. Nous nous promettons que demain elle prendra ce qu'elle mérite. Et nous sombrons facilement dans un sommeil réparateur.

Je repars en tête pour ce troisième jour dans cet itinéraire pur et logique. Il faut se laisser guider par le terrain, toujours raide et soutenu, entre rappels, dalles et cheminées retorses. A mesure que nous nous élevons sur cette arête, le paysage devient de plus en plus grandiose et nous pouvons admirer au loin le magnifique massif des Ecrins. Mes collègues (et non moins amis) se régalent de cette vision délicieuse en se répétant qu'il faut vraiment qu'ils aillent grimper plus souvent dans cet Oisans sauvage, auréolé d'une beauté somptueuse.

Seb prend le relais à nouveau et grimpe comme un damné la succession de passages difficiles de la Pointe Bich, que nous finissons par défourailler allègrement quand le soleil s'abaisse sur l'horizon. Un second bivouac, cosy et abrité, n'ayant rien à envier à son homolgue dit « du berlingo », nous tend les bras pour la nuit. Le vent nous accompagnera pendant ce repos bien mérité.

Bivouac du Berlingo

Le lendemain, partis pour rallier le bivouac Craveri, nous nous levons comme à notre habitude à 5 heures. Je trace donc la route jusqu'au sommet de la Noire en une centaine de mètres de corde tendue dans une neige ayant parfois la cohésion du sucre semoule, ce qui rend la progression encore plus rigolote. Le vent qui souffle sur la vierge nous pousse à ne pas trainer pour la photo finish que nous ferons quelques mètres en contre bas, au départ des impressionnants rappels qui nous attendent en face nord. Seb réalise une gestion parfaite de ces rappels qu'il a déjà parcourus une fois, en été. Nous implorons à chaque relais la frivolité de nos copines, espérant pour une fois être les plus beaux cocus que cette terre ait portée. Et cela fonctionne, nous en concluons qu'elles doivent se faire à peu près aussi plaisir que nous là où elles sont. Avec peut être un peu de culpabilité car la corde ne manque pas de se coincer sans gravité dans quelques blocs récalcitrants et se voit amputée d'une dizaine de mètres.

C'est au tour de Tonio de prendre en main notre cordée et de nous mener au bivouac Craveri par la traversée des Dames Anglaises qu'il a lui aussi déjà réalisé en été. Nous y débouchons dans un fort vent d'Est qui glace instantanément nos gants trempés par la chaleur du versant Frêney. Une entrée épique dans le fameux bidon nous ouvre les portes à une nuit tranquille et protégée. Il nous reste une seul bivouac et au moins deux jours pour parvenir au sommet du toit de l'Europe. Le calcul est vite fait, ce soir c'est demi portion!

Le quatrième jour se lève sur des cordes tendues par un leader remonté à bloc. Notre Seb nous dépose au sommet de la Blanche en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, ce qui nous remonte le moral puisque nous apparaissons, après la traversée de la Blanche et ses quelques rappels, au col de Peuterey à 13 heures. Tout reste donc jouable avec notre quantité de nourriture et de gaz. La fatigue s'installe bel et bien dans nos corps. Il va falloir résister avec ce qu'il nous reste dans les 800 mètres de l'arête de Peuterey et jouer fino pour éviter au mieux la glace noire dont elle est principalement revêtue. Nous optons pour une pause d'une petite heure à ce fameux col et nous grillons notre dernier bivouac demi portion. C'est Tonio qui s'élance dans la dernière ligne, pas vraiment droite, jusqu'au sommet, avec un rythme et une lecture de terrain parfaite. 

Arête de Peuterey

Nous finissons par atteindre la Mont Blanc de Courmayeur alors que le ciel s'enflamme. Nos têtes de lémuriens anémiques prouvent que nous avons un peu tiré ces derniers jours. La remontée au Mont blanc finit de nous détendre et nous nous retrouvons là haut à la nuit tombée. Le vent d'Est que nous avait prévu Yann nous bouscule au sommet pour une deuxième photo finish bien ratée et nous incite à ne pas tarder et à rejoindre le Goûter où nous nous réfugions. En quelques heures de descente le lendemain nous rejoignons Bellevue dans la chaleur d'une parfaite journée d'anticyclone hivernal.

Merci mes niots.

A plus


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire